LE RETOUR DU FILS

C’est longtemps, très longtemps après avoir quitté le gîte familial que le fils était revenu vers les siens. La mère était morte.

 

- Pourquoi ? Avait demandé le père. Pourquoi es-tu parti en laissant la mère dans les soucis et la peine ?

- Mais, Père, répondit le fils, comprends que j’en avais assez de vivre sur cette terre inculte en été, et gelée en hiver. Je voulais connaître autre chose de la vie, mais je ne pouvais pas deviner que cela allait tuer la Mère…

Le père regardait son fils, mais n’écoutait pas ses paroles. Il lui avait déjà pardonné le mal qu’il avait fait à sa mère. Il aimait son fils.

- Pourquoi, mon fils, avoir attendu aussi longtemps avant de revenir ?

- Je ne sais pas. J’avais peur des reproches. La guerre était en moi. Mais la solitude aussi : elle s’imposait chaque jour un peu plus, en s’asseyant aux côtés de mon remord.

-         Mon fils. Il faut que tu saches puisque tu es revenu.

-         Quoi donc? Mon père.

- Nous n’avons plus d’argent et nous souffrons de la faim. Ta sœur s’en était allée travailler à la ville, et elle nous a oubliés. Les quatre premier mois, elle nous envoyait de l’argent mais sitôt sa mère morte, nous n’avons plus jamais rien reçu.

- Et mon jeune frère ?

- Il n’a pas eu de chance... C’était l’été. Il travaillait dans les champs avec un journalier venu de la ville. Il y avait beaucoup à faire. Moi, j’étais aux côtés de ta mère qui était très mal depuis ton départ. Un jour, le journalier est venu me dire que ton frère avait été victime d’un grave accident avec le tracteur, qu’il était méconnaissable. Il dit l’avoir mit lui-même dans un cercueil… Cet accident eut tôt fait d’emporter les dernières forces de ta mère. Elle est morte quelques jours plus tard…

Il s’arrêta de parler l’espace de quelques secondes, le regard tourné vers la fenêtre, au-delà des vitres sales.

            - Ta mère est là-bas, entre la rangée des six pommiers et le champs de maïs. Tu devrais aller la voir… T’excuser du mal que tu lui as fait.

            - Tout à l’heure !… J’irai tout à l’heure… Mais dites-moi, père. Nous sommes pauvres, maintenant ? Comment est-ce possible ?

            Tu sais. Depuis ton départ, on a eu de mauvaises récoltes. Le froid ou les grandes sécheresses d’été. Et plus assez de bras pour travailler la terre.

            - Mais, la fortune de la famille ? S’enquit le fils.

            - C’est ta mère qui l’a. On l’a enterrée avec…

            - Alors, père, c’est elle aussi la cause de notre pauvreté ?

            - Non ! Ne dis pas cela, fils. Elle a beaucoup souffert. Tu sais. Oh ! Bien-sûr, elle était parfois dure, mais c’était tout de même une bonne mère… Je sais bien que tu ne t’entendais pas avec elle. Mais je t’en prie. Il faut lui pardonner.      

- Oui, père. J’irai la voir… J’irai lui pardonner le mal qu’elle m’a fait… Mais pas tout de suite…

            - N’attends pas trop longtemps, fils…

 

*

 

Le soleil se couchait là-bas, très loin derrière les champs de maïs.

La terre était dure, gelée en profondeur.

Elle était dure à casser, à retourner.

Le fils avait emporté une pioche et une pelle. Il martyrisait cette terre qui l’avait vu naître.

Parfois, des étincelles s’envolaient, telles des lucioles dans l’obscurité froide, lorsque la pioche frappait la pierre.

Le fils creusait la terre.

Il allait commettre l’irréparable, la faute impardonnable.

Là-bas, entre la rangée des six pommiers et les champs de maïs, lui avait dit son père.

C’était simple : attendre la nuit tombée et venir là, armé d’une pioche et d’une pelle, déterrer le cercueil, et retirer du doigt l’anneau portant le gros saphir entouré d’un feu de diamants. Pas plus simple que cela… Ensuite tout remettre en place, et disparaître, ni vu, ni connu.

 

Mais, la terre refusait de s’ouvrir, repoussant chaque coup de pioche.

À chacun d’eux, elle gémissait tout en se contractant encore plus, comme si elle avait deviné les mauvaises intentions du fils. Elle protégeait le repos de la défunte.

 

*

 

            Ce n’est que très tard dans la nuit que le haut du cercueil commença à se faire voir.

Le fils avait allumé une lanterne. Elle dispersait une luminosité froide, gelée comme la terre.

La pelle gratta, encore un peu et sans délicatesse, le haut du cercueil.

Le socle était devenu solidaire de la terre. Le fils ne pouvait pas sortir le cercueil du trou. C’était impossible. Les doigts de la terre retenaient le bois.

Le fils commença à s’énerver. Se savoir si près du but…

L’échec… Non ! Il ne pouvait pas l’accepter !

Il prit la pioche, coinça le fer sous un rebord et s’appuya de toutes ses forces sur le manche pour faire levier.

            Dans la nuit, il y eut un grand craquement, suivi d’un cri de stupeur… Des chiens aboyèrent dans le lointain. Puis le silence revint…

 

*

 

            - Père ! Venez vite voir !

            - Quoi ? Que se passe-t-il ? Mais il fait encore nuit !!!

            - Le cercueil, entre les six pommiers et le champs, il est empli de pierres ! Et d’ailleurs, ce n’est pas celui de maman ! C’est celui de mon frère !

            - Mon Dieu ! C’est vrai ! Je m’étais trompé. C’est vrai que je n’avais pas vérifié la dépouille de ton frère. Le journalier m’en avait dissuadé, prétextant que le corps était terriblement mutilé… Mais, je commence à comprendre. Il était de mèche avec le journalier ! Mais, j’ai un autre doute ! Allons vérifier le cercueil de ta mère !…

Ensemble, ils allèrent exhumer le corps de la défunte…

Ils ne se parlèrent pas quand ils observèrent qu’il manquait un doigt à la main gauche du squelette. Le frère avait poussé le sacrilège jusqu’à couper l’annulaire qui portait, serré, la bague aux mille feux !