LA CONSPIRATION

DE LA ROSE

NOTE

Ce roman est la suite de "UNE ROSE A L'AGONIE".
Alors que dans le premier tome, François de Savorgnant n'essuie que des échecs, il prend sa revanche dans celui-ci. Pour la rédaction de ce roman, toutes les sources sont véridiques.

 

Ecriture à partir de documents concernant la Franc-Maçonnerie, la géobiologie, le magnétisme, la sorcellerie et les médecines parallèles, la vie dans les campagnes et les fermes de Lorraine, le journal de bord (inédit) d'un curé de campagne entre 1964 et 1980, etc.


Afin que vous puissiez vous faire une idée, voici "en avant-première", une préface et un extrait du premier chapitre (projet non définitif)...

 

PREFACE

Jusqu’où peut aller la bonté, l’amour, et la générosité d’un homme ?

Comment et où ces qualités peuvent-elles puiser suffisamment de force pour que cet homme continue à vivre dans notre cœur, au-delà de la mort ?

Très souvent, je me suis posé ces questions.
Jamais je ne suis parvenu à y répondre. Mais une chose est certaine, je sais désormais que la mort n’est que la porte d’un autre monde, porte qui ne reste pas définitivement fermée au commun des mortels. Quelques fois, il arrive qu’elle s’entrouvre pour permettre au disparu de communiquer avec  son conjoint ou son meilleur ami. Moi, j’ai eu le privilège de cette grâce. Plusieurs fois, j’ai eu l’occasion de communiquer avec une personne disparue dans d’étranges conditions. Ce qui m’est arrivé étonnera certainement plus d’un, mais cela s’est passé de cette façon, aussi incroyable que véridique.

 

Je vais vous conter dans les pages qui suivent dans quelles conditions cette chose étonnante m’est arrivée.

CHAPITRE 1

Lorsque je vis ces hommes pointer leurs fusils sur moi, je me considérai déjà comme mort. Je reçus plusieurs décharges de chevrotines: une dans la cuisse, une dans l'épaule gauche qui me fait encore terriblement mal, et une sur le côté droit qui m'a seulement éraflé. Ils me crurent mort, mais j'avais simplement perdu connaissance. Un peu plus tard, Thomas, le nouveau pasteur de Savorgnole, s'aperçut que je vivais toujours. Il m’a porté sur son dos et m’a emmené chez lui. Sa femme et lui-même prirent soin de moi, en me cachant dans le grenier.

            Je ne repris mes esprits que six jours plus tard.

            Je revenais de loin et je leur devais la vie.

J'avais considérablement maigri, mais lorsque je fus rétabli, il me demanda d’écrire mon histoire, ainsi que celle de Savorgnole, ce que j'acceptai.

Il m'a dit qu'il allait joindre les autorités pour que justice soit faite, et que cette histoire l’aiderait à donner toute la lumière sur les événements qui se déroulèrent dans le village.

De mon côté, j’avais tout remis à Thomas, manuscrits et documents, car j'avais décidé de repartir sur les routes, au hasard de mes pas.

Bien-sûr, je ne reviendrai plus jamais à Savorgnole.

Après plus de six mois à traîner dans le Sud, entre Avignon et Toulon, le village ne me manquait toujours pas, mais j’avais la nostalgie de ses villageois. Eux me manquaient beaucoup, surtout Martinien qui avait été empoisonné à mon insu. Je n’avais pu l’aider. Je ne m’étais pas imaginé que la machination qui planait sur le village allait tuer mon meilleur ami en l’espace de quelques semaines. Chaque jour, j’ai regretté de n’avoir pas mesuré à sa juste valeur le danger qui nous guettait tous. J’avais compris trop tard qu’il n’y avait eu que deux personnes à l’origine des troubles qui survinrent à Savorgnole: Mireille, la femme de l’ancien maire Martinien, et un homme insaisissable, diabolique, un véritable mercenaire qui vendait ses services en sciences occultes sataniques à ceux qui le souhaitaient.

Nous étions fin 1959. Les catastrophes se succédaient. Il y a quelques jours, on apprenait la rupture des accotements du barrage de Malpasset à Fréjus. Cela entraîna cent trente-six morts et plus de deux cents disparus.

C’est à peu près à cette époque que j’avais lu dans le Midi Libre que Mireille avait été arrêtée et emprisonnée, mais que le mercenaire courrait toujours. Quelques extraits de mon journal avaient même été résumés pour faire comprendre aux lecteurs l’incroyable qui avait eu lieu à quelques dizaines de kilomètres des grandes villes.

Bien-sûr, j’ai quitté à tout jamais certains amis qui comptèrent vraiment lors de mon séjour dans le village, mais le principal est qu’ils demeurent toujours tous dans mon cœur. Je ne saurais jamais comment remercier leur amitié, car Savorgnole et eux tous m’ont changé en quelqu’un de beaucoup plus fort qu’auparavant.

            Je me sentais épuisé d’avoir encore marché longtemps, d’avoir couru les routes du Sud de la France pour retrouver Julie, la jeune femme que j’avais connue à Savorgnole. L’adresse qu’elle m’avait laissée n’était plus d’actualité: ils avaient déménagé et personne ne savait où ils étaient partis.

Las et désillusionné, j’avais décidé de remonter en auto-stop, sac au dos, plus vers le Nord-Est, vers Lunéville et Deuxville, suite à la lecture d’un article parue sur le Midi Libre. Ce journal informait, dans un court article, l’existence de faits étranges et identiques, survenus dans deux fermes, situées dans des villages distants seulement d’une dizaine de kilomètres. Le journaliste ne parlait pas de sorcellerie, ni de messe noire, ni encore d’envoûtement ou d’exorcisme, aucun de ces termes qui évoquent le diable et ses méfaits. Pourtant, j’avais compris, ou du moins j’avais ressenti qu’il existait, quelque part, un lien entre ce qui était survenu à Savorgnole, et ce qui se passait dans ces deux petits villages. Je me doutais bien que ce mercenaire satanique y était pour quelque chose. Certes, jamais, je ne me présenterais en tant qu’exorciste, mais comme un simple citoyen qui souhaite avoir une revanche sur un échec. N’ayant plus rien à perdre car ayant déjà tout perdu, mon ultime souhait était de pouvoir aidé les autres à comprendre certains méfaits et à les combattre. Ayant réussi à obtenir d’un journaliste les coordonnées des deux fermes victimes des faits paranormaux, je leur télégraphiais mon arrivée prochaine, avant de quitter Aubagne.

 

Il ne me fallut pas moins de deux mois pour atteindre Deuxville par les grandes routes, avec de nombreuses haltes pour gagner quelques sous.

 

Nous étions fin septembre: la période des vendanges dans les vignobles du Beaujolais. Je restai une quinzaine de jours dans cette région, à Saint-Etienne des Ouillères, pour y ramasser le raisin en compagnie d’une vingtaine d’autres vendangeurs. Le couchage et les repas nous y étaient offerts en échange d’une dizaine d’heures de travail par jour. Nous couchions dans une grande pièce commune, hommes et femmes, en couple ou non. Les repas étaient pris également en commun, dans une bonne ambiance… De ces quelques jours de durs labeurs, j’en conservais un excellent souvenir. Lorsque nous nous quittâmes tous, nous nous échangeâmes nos adresses: j’étais le seul d’entre eux à ne pas en avoir à communiquer, étant constamment sur les routes, néanmoins je repartais de Saint-Etienne avec quelques adresses en poche.

Ensuite, mon cheminement jusqu’à Deuxville se fit par étapes de cent à deux cents kilomètres, en voiture à chaque fois.

Après avoir traversé Lunéville, le conducteur de la quatre-chevaux qui m’avait pris en auto-stop à la sortie de Saint Dié, avait eu la gentillesse de me déposer au carrefour de deux départementales avant de faire demi-tour pour rentrer chez lui. Il devait être onze heures du matin. Le ciel était couvert de nuages gris.

Je demeurai un long moment à cet embranchement, hésitant, me demandant si j’avais pris la bonne décision, celle de quitter une région chaude et ensoleillée pour me retrouver ici, sous un ciel souvent blafard. Cependant, je pris la route qui partait sur la gauche en direction de Deuxville.

En à peine une heure de marche depuis le carrefour, j’atteignis une imposante ferme, donnant sur la rue principale.

Un gros tas de fumier, exposé à la vue de tous, débordant sur la rue, fumait encore. À un mètre de cet amoncellement, on avait empilé toutes sortes de branches mortes. Cette caractéristique propre aux fermes de la région m’avait déjà frappé lorsque j’avais traversé en voiture les quelques villes situées entre Saint Dié et Deuxville. Cela donnait un certain charme, mais je ne doutais pas qu’en cas de pluie, la rue se transformât en bourbier, et que ce manque d’hygiène devait être à l’origine de nombreuses maladies.

Comme je frappai à la porte à l’aide d’un gros heurtoir en forme de tête de chouette, elle s’ouvrit lentement, dévoilant un visage carré, ridé et buriné par les années et les intempéries, aux cheveux blancs et coupés en brosse. L’homme paraissait avoir dans les soixante-dix ans.

            - Oui ? Fit l’homme en me voyant.

            - Bonjour. Monsieur Bourgeois ?

            - Oui.

- Je suis le Monsieur qui vous avait télégraphié pour vous prévenir de mon arrivée. Je suis François de Savorgnant.

            - Oh ! Mais bien sûr. Rentrez ! Ne restez pas dehors ! Soyez le bienvenu ! S’exclama l’homme en ouvrant largement la porte et en s’effaçant derrière celle-ci.

J’entrai directement dans une grande salle commune, mal éclairée. Tout d’abord, je ne discernai rien puis, mes yeux s’habituant à l’obscurité, je distinguai au centre de la pièce, une grande table, longue d’environ trois mètres, et cinq personnes autour, trois hommes et deux femmes. Ils venaient visiblement de terminer leur repas. Les hommes sirotaient un alcool, transparent comme de l’eau, dans des petits verres.

            - Entrez ! Entrez ! Répéta l’homme. Faite comme chez vous.

À ses paroles, j’entrai franchement en m’approchant de la table. L’un des hommes se leva, et poussa sa chaise dans ma direction.

            - Prenez-la, Monsieur. J’vais m’en prendre une autre. Me dit-il avec un fort accent lorrain.

            - C’est Monsieur de Savorgnant. Fit Bourgeois à l’attention des cinq personnes. C’est le Monsieur dont j’vous avais parlé le mois dernier. Il vient pour aider, pour dénouer nos ennuis.

            - Merci. Fis-je à l’adresse de l’homme qui m’invita à m’asseoir à leur table.

            - J’vous présente, continua Bourgeois, Jacques, mon fils aîné. Sans son aide, la ferme serait bancale. À côté de lui, Rolande, sa femme. Puis, Maupin, mon gendre, un fin bouilleur de cru; n’hésitez pas une seconde s’il vous offre à boire son eau-de-vie de mirabelles: un parfum incomparable… un délice! À ses côtés, Suzette, ma fille. Puis Jean-Louis, le cadet de la famille. Madame Bourgeois n’est pas encore là. Vous la verrez un peu plus tard.

Tour à tour, je leur serrai la main à l’évocation de leurs noms.

Je me sentais subitement un peu gêné. J’avais l’impression d’être arrivé au mauvais moment. Ils s’étaient peut-être réunis pour discuter en famille.

            - Alors, Monsieur de Savorgnant, fit Bourgeois. La route a été bonne ? Vous êtes venu par le train ?

            - Non. Répondis-je. Par les grandes routes, avec de nombreuses haltes. Mais dans l’ensemble, oui, la route a été bonne.

            - Vous savez, continua-t-il. Nous sommes tous très heureux que vous soyez là. Nos problèmes, nous en avons parlé à un journaliste car on ne savait plus quoi faire. Pour être franc, vous n’êtes pas le seul à essayer quelque chose. Un prêtre est venu de Strasbourg, il y a un mois. Il a essayé, mais cela n’a rien donné. Cela va toujours aussi mal à la ferme. Même qu’y en a une autre qui rencontre des soucis pareils, pas très loin de Lunéville.

            - Je suis au courant. J’ai prévu de la visiter également.

            - Mais vous devez être fatigué ? Vous dormez où, ce soir?

            - J’ai réservé une chambre à l’hôtel de la Gare, à Lunéville.

            - Y’a pas beaucoup d’hôtels dans la région, mais vous êtes bien tombé: c’est le plus propre. Il vous conviendra parfaitement. Vous y serez bien. Jean-Louis pourra vous y conduire en voiture dès que vous le souhaiterez. Pour le moment, vous partagerez bien avec nous un p’tit verre. Ça vous réchauffera. Après, j’vous f’rai visiter la propriété, et vous verrez par vous-même.

            - Volontiers.

Bourgeois qui était resté debout traversa la pièce jusqu’à un vaisselier, prit un verre à liqueur et le posa sur la table. S’étant ensuite emparé d’une bouteille, à moitié pleine d’un liquide transparent comme de l’eau, il s’enquit d’en remplir le verre.

            - Tenez. Vous m’en direz des nouvelles ? Me dit-il en me tendant le verre.

            - Oh ! C’est fort!… Mais c’est bon ! Fis-je après avoir avalé une gorgée.

Celui qui s’appelait Jean-Louis prit la bouteille, et remplit les quatre verres des hommes.

            - On a vraiment un problème, à la ferme. Dit Bourgeois. Un seul ? Non… Ce serait gérable… Mais ce sont plusieurs problèmes. Des choses incompréhensibles qui arrivent comme ça, sans vous prévenir, et puis qui disparaissent. Tout rentre dans l’ordre, et quelques jours après, cela revient !

- Quel genre de problèmes ? Demandai-je.

- Ils sont nombreux… très divers… Mais par quoi commencer ?

- Par le début, je suppose. Dans votre souvenir, quel a été le premier événement, même le plus anodin, qui vous a semblé sortir de l’ordinaire ?

- Dans mon souvenir?… Je ne me souviens pas vraiment… Mais je crois que c’est cette première nuit où les vaches se sont mises à beugler toute ensemble, sans aucune raison. On y est allé voir. Elles continuaient. Cela nous faisait penser aux hurlements à la mort d’un chien, vous savez, quand il se sent perdu. Mais des vaches faire cela, c’était bien la première fois que l’on entendait cela. Vous ne pouvez pas savoir combien cela nous faisait froid dans le dos ! Le lendemain, elles ne voulaient même pas sortir aux champs. Il a fallu les pousser à coups de baguettes. Le soir, au retour, quand l’heure de la traite était venue, et bien, elles n’ont rien donné ! Ce n’est qu’une semaine après qu’elles nous ont redonné du lait. Mais d’autres évènements se sont succédé.

- De quelle sorte ?

- Terrifiants, et très douloureux à la fois…

Bourgeois s’était arrêté de parler. Son regard scrutait le vide, comme s’il cherchait une explication plausible à ses dires. Un silence très lourd se mit à peser sur nos têtes. Puis, il regarda Jean-Louis, longuement, pour lui faire comprendre que c’était à lui de raconter la suite. Celui-ci prit effectivement la parole.

            - On avait beaucoup de bêtes. Dans la région, vous verrez par vous-même si vous avez l’occasion de la parcourir, il y a de très nombreuses fermes. Leur nombre ? Je ne saurais vous dire, mais des grosses exploitations, vous n’en rencontrerez à peine qu’une dizaine. Celle de mon père en fait partie. Au sujet des bêtes, je voulais dire que l’on en avait beaucoup. Des vaches, des chèvres, quelques moutons, des porcs… Donc, pour revenir au récit de mon père, une semaine après, on a trouvé cinq vaches et six chèvres mortes d’hémorragie interne. On a fait venir le vétérinaire. À l’autopsie, il a découvert des centaines d’aiguilles dans leur panse ! À l’époque, on avait un jeune commis, Pierre, le fils du banquier, un jeune homme un peu attardé qu’on avait accepté à la ferme pour le faire travailler. On a pensé tout de suite à lui. Accusé de ce forfait, il avait été néanmoins relâché par la justice, faute de preuve. Et puis les aiguilles sont revenues par milliers. Ce n’était pas le fait de Pierrot. C’était désormais certain. Des aiguilles, on en trouvait dans les prés, dans les auges des bêtes. On en a même retrouvé dans nos lits!  Heureusement, cela n’a pas duré bien longtemps… Sur ce point, cela a été pénible, parce qu’une foule de curieux : des voyants, des magnétiseurs, même des exorcistes ont accouru, attirés par la rumeur. Et après, cela a été le tour des journalistes qui voulaient des explications avec force détails. On a parlé aux journalistes, et on a repoussé les autres, les charlatans qui pour la plupart demandaient de fortes sommes d’argent contre leurs services… Vous, c’était différent. On avait discuté ensemble au téléphone. Vous aviez eu une bonne idée de se donner rendez-vous chez le docteur de Lunéville pour parler ensemble. J’ai accepté votre venue, au nom de la famille Bourgeois, car j’ai senti beaucoup de charité dans le ton de votre voix. Vous m’aviez parlé d’une revanche à prendre J’ai compris que vous aviez peut-être souffert un échec passé, et que selon vous, il y aurait un lien possible entre ce que vous avez vécu et ce que l’on vit actuellement.

            - Raconte comment les aiguilles s’enflamment ! Fit Bourgeois.

            - Oui… Continua Jean-Louis. Figurez-vous que ces aiguilles, quand on les jette au feu, dans la cheminée, elles s’enflamment, tout à fait comme de la poudre à fusil, et puis elles disparaissent !

            - Vous en avez encore ? Est-ce que je peux en voir ? Demandai-je.

            - On n’en a plus une seule. Toutes celles que l’on avait conservé dans un carton ont disparu comme par enchantement. Il n’en est resté qu’une poudre noirâtre. Un laboratoire de chimie l’a analysée à notre demande.

            - Le résultat ?

            - Du carbone… Tout simplement du carbone. Rien de plus… Je vais vous montrer.

Jean-Louis se leva, sortit de la pièce et revint quelques instants après. Il me tendit un petit flacon transparent.

L’ayant pris, je l’ouvris et fis tomber au creux de ma main un peu de poudre. Cela ressemblait à de la cendre, mais de la cendre noire, très fine et très légère, que le moindre déplacement d’air faisait s’envoler. Je secouais ma main et refermais le flacon.

            - C’est très étrange… Dis-je. Je n’ai jamais rien vu de tel.

            - Comme vous dites… Mais ce n’est pas tout. On a vu certaines de nos machines agricoles se mettre à rouiller à une vitesse étonnante.

            - Comment est-ce possible ? M’étonnai-je.

            - Justement, c’est impossible ! Et pourtant, du jour au lendemain, on les trouvait un peu plus rouillées !

            - Raconte l’autre jour, avec le chien, coupa Bourgeois, ce qu’est arrivé…

            - Oui… On était en train d’observer, dans la cour, la rouille qui commençait à gagner une charrue. On s’est d’ailleurs rendu compte qu’elle prenait son origine à une extrémité, et qu’elle s’étendait jusqu’à l’autre extrémité à la manière d’une gangrène… On observait tout cela quand les freins du tracteur se sont miraculeusement desserrés. On ne l’avait pas vu, mais l’engin a continué sa course en silence. C’est au dernier moment que l’on s’était poussé. Il nous a frôlés. Un peu plus loin, il a écrasé la niche du chien et s’est arrêté contre la grange. Heureusement que Bougnon était sorti de sa niche ! La pauv’e bête s’est alors mise à hurler à la mort…

            - Pour vous dire, reprit Bourgeois, c’est partout que l’on ressent une présence maléfique. On espère que vous trouverez une parade, quelque chose qui puisse faire cesser cette malédiction.

            - Je ne vous promets rien. Répondis-je. Mais de toutes façons, je ferai tout ce qui est en mon pouvoir pour découvrir le pourquoi et le comment de ces agissements.

            - On a confiance en vous… Mais on parle, on parle, et l’heure tourne… Finissez vot’e verre, et j’vous f’rai faire le tour de la propriété.

À ces paroles, je terminai d’un trait l’alcool qui me brûla toute la bouche et l’œsophage. Cette eau-de-vie de mirabelle était délicieusement parfumée mais relativement forte. Un hoquet me prit. Je m’en excusais.