LA VIE A SAINT-EGREVE DANS LES ANNEES 1920

SOUVENIRS SUR LE SAINT-ÉGRÈVE DE 1921

Charles THIVOLLE

 


En 1921, la commune de Saint-Égrève, qui se donne aujourd’hui le titre de « ville », comptait entre 1200 et 1500 habitants. Elle était formée, comme actuellement, de deux villages : Saint-Robert et La Monta, entourés de plusieurs quartiers qui se sont beaucoup développés depuis. Certains sont même devenus très importants.

Cette est un pays en partie industriel mais dans son ensemble plutôt agricole ; nous en reparlerons.

Sa mairie était alors situé dans le quartier de l'église de La Monta, au milieu des deux bâtiments du groupe scolaire et existant encore aujourd'hui, sous l'horloge... L'effectif de ses employés était assez réduit. Il me semble qu'il n'y avait que quatre personnes seulement :

- le secrétaire : Monsieur Pignata,

- Le garde champêtre : Monsieur Bessiron, qui est en imposait par son allure martiale et autoritaire,

- et deux cantonniers.


La place de la mairie était plutôt agréable. Elle formait devant le groupe scolaire une petite esplanade, plantée d'ormeaux, avec une jolie fontaine au milieu. Cet emplacement a été sacrifiés depuis pour permettre l'agrandissement des cours des Écoles, et l'élargissement de la rue du Médecin Général Viallet.

Il n'y avait qu’un groupe scolaire dans la commune. Aussi certains enfants devaient se taper plus de 2 km à pied pour venir en classe, comme ceux habitant la ferme Riboud, situé sur les bords de l'Isère, ou la ferme de Fiancey, au pied du Néron ( famille Fournier) . Aucun des enfants possédaient une bicyclette, et leurs parents en ce temps-là ne pouvaient pas les véhiculer en voiture, et pour cause… Cependant, le « chemin des écoliers » avait aussi son charme et ses amusements, suivant les saisons. En hiver, c’était les bonnes glissades sur les ornières gelées.

À propos d'automobiles, savez-vous combien le pays en comptait ? Cinq, seulement !

Parmi les cinq privilégiés qui en possédaient une, on pouvait compter :

- le marquis de Quinsonnas,

- Monsieur Viallet, le brasseur, dont la voiture était déjà électrique, étant donné que son propriétaire était aussi fabricant d'électricité,

- Monsieur Aprin, habitant le quartier du Muret, qui possédait un très vieux tacot d'avant la 1ère Guerre,

- Monsieur Giraud, de St Robert, dont le véhicule faisait plutôt office de camionnette,

- Et Monsieur Huillier, habitants dans la descente de Bonnais et travaillant au dépôt de carburant.

À propos des Écoles, je tiens à préciser qu'il n'y avait pas de cantine et que les élèves qui venaient de loin devaient apporter avec eux leur repas de Midi dans un petit panier. Il se débrouiller seuls pour le faire réchauffer, en hiver, sur le poêle de la classe, et bien sûr en été ils le mangeaient froid. En 1921, le maître et le directeur de l'école était Monsieur Cuny, quelqu'un de très distingué qui disait « vous » à ses élèves.

Peu d'élèves allaient jusqu'au certificat d'études, la plupart quittant l'école pour aller travailler, ou débuter un apprentissage. Je me souviens que nous étions seulement quatre chez les garçons à passer le certificat d'études. Comme nous avions un très bon instituteur, Monsieur Cleyet, nous fûmes tous reçus ; ce qui nous valut les félicitations du maire de l'époque, Monsieur Jaymond. Je rappelle ici les 9 camarades qui ont partagé avec moi ce succès, et qui hélas ne sont plus aujourd’hui. Parmi eux, il y avait Georges Durand, Maurice Maillefaud, et Charles Villaumet.

Après le Certificat d’Études, certains allaient à l’école à Grenoble (à l’École Supérieure ou à une autre), mais ils étaient peu nombreux. Nous étions peut-être 5 ou 6 à prendre le tram aux Moutonnées pour nous rendre. Ce n’était pas la foule d’aujourd’hui, et je crois que nous en avons tous conservé un bon souvenir.

Puisque nous sommes dans le quartier de l’Église, je dois vous dire qu’il n’existait qu’une seule paroisse à Saint-Égrève et qu’un seul cimetière. De nos jours, un nouveau cimetière s’est greffé à l’ancien. Il y avait des tombes tout autour de l’église. Elles ont été enlevées quelques années plus tard. Néanmoins, il en demeure toujours une, adossée près de l’entrée de la sacristie.


Les activités du pays étaient nombreuses :

- À La Monta, on trouvait la Minoterie Bourne, la scierie Termat, la scierie Champin, une cartonnerie, l’atelier de mécanique Franc, l’usine de tissage, la Boulonnerie (dans le bâtiment actuel de l’entreprise Pesenti).

- À la Basse-Monta, il y avait un agriculteur, Monsieur Martin, qui tenait également un café. Près de l’Église, on trouvait un cordonnier, Monsieur Durand, et les ateliers de menuiserie des frères Broise. La brasserie Poulat-Viallet qui employait de nombreux ouvriers et dont les locaux sont occupés aujourd’hui par une entreprise de produits chimiques, la SICO.


Les autres acticités dans le pays étaient représentées avant tout par l’Usine à Ciments de la Porte de France qui existe toujours aujourd’hui sur le même emplacement, mais sous l’enseigne des Ciments Vicat.

L’usine électrique Vence-Isère, au Pont de l’Oulle qui appartenait à la Brasserie.

Une fabrique de papier goudronné et une autre de cirage située derrière la gare. Puis, avec moins d’importance, on trouvait un maréchal-ferrant forgeron aux Moutonnées (Monsieur Louvat). Presque en face, on trouvait le charron (Monsieur Gamard).

L’Asile de Saint Robert offrait nombre d’emplois aux hommes du pays et des environs, pendant que la ganterie grenobloise procurait un important travail à domicile à certains, les « coupeurs » (comme Messieurs Pignata et Termat, et peut-être d’autres que je ne connaissais pas)., mais surtout à beaucoup de femmes, « les brodeuses » de gants au métier. On retrouvait toutes ces personnes dans le tram lorsqu’elles allaient en ville rendre leur « passe » à l’entrepreneur.

Quelques années plus tard s’est installée dans le quartier des Iles, une usine de « laminage » venant du Nord. On l’appelait « le laminoir » ou « la nouvelle usine ». Cette entreprise avait amené avec elle beaucoup de ses employés dont certains se fixèrent à Saint-Égrève. Ce fut le cas des familles Leroux, Hock, Blevarque, Druelle… L’implantation de cette usine fut une manne pour le commerce local. Le café Payant, tout proche, en bénéficia tout particulièrement, pendant qu’elle procurait de nouveaux emplois aux gens du pays. Malheureusement, elle n’a fonctionné qu’un certain temps…

Saint-Égrève avait surtout une vocation agricole. On y trouvait de nombreuses fermes, souvent assez importantes, dont la plupart appartenaient aux châtelains du pays, le comte de Quinsonas entre autre. On y cultivait un peu de tout. Pas tellement de la vigne, cependant, mais des céréales : blé, maïs, etc.… Le battage du blé qui faisait la joie de notre enfance durait des semaines. Il y avait 2 entrepreneurs de battage (Messieurs Duc-Maugé et Termat) qui allaient de ferme en ferme après les moissons. Une importante ressource agricole était les plantations de cerisiers. Elles étaient nombreuses, s’étendant du pied du Néron aux bords de l’Isère. La commune, tout comme Moirans, avait alors son « marché aux cerises » qui se tenait aux Moutonnées, devant le café.

Les cafés étaient bien plus nombreux qu’aujourd’hui, surtout en rapport avec le nombre d’habitants. Ils comptaient beaucoup dans la vie du pays. Il y en avait toujours un non loin du maréchal, du coiffeur, de la gare, des emplacements de marché. On s’y rendait facilement lorsqu’on avait à faire au village. C’était aussi l’occasion d’y rencontrer des amis. On y entendait encore parler patois, un patois très voisin du français. La plupart possédait un jeu de boules. On y jouait aussi aux cartes. Et puis, la radio, et encore moins la Télévision n’existait pas. On y venait aussi dans l’espoir d’y apprendre quelques nouvelles intéressantes, en plus des «  potins » locaux. Il y en avait 5 à La Monta, tenus par :

- Monsieur Désirat

  • Monsieur Frier

  • Monsieur Sylvestre

  • Monsieur Jacob

  • et Monsieur Martin (à la Basse-Monta)

Dans le quartier des Moutonnées et Pont-de-Vence, il y en avait 3 :

  • Monsieur Poulat

  • Monsieur Paulin

  • Monsieur Mounier

Seul subsiste le Café du Pont-de-Vence.

À Saint-Robert, on comptait 5 cafés :

  • Monsieur Giraud

  • Monsieur Veyret

  • Monsieur Laboret

  • Monsieur Termat

  • et Monsieur Faure

Dans le quartier de la Gare, des Iles et des Bonnais, il y en avait 4 :

  • Monsieur Angenieux

  • Monsieur Comte

  • Monsieur Payant

  • Monsieur Catin

Cela faisait un total de 17 cafés sur la commune.

Combien en reste-t-il aujourd’hui sur la Commune ?

Je vous les laisse compter…


Les commerces de La Monta comprenaient, à part les cafés, une épicerie (Monsieur Jail) et une boucherie (Monsieur Raillon) sur le côté droit lorsque l’on monte. En face, on trouvait « l’Économique » à son emplacement actuel, le marchand de journaux (Monsieur Frier) qui tenait aussi une Epicerie-Buvette, puis la Boulangerie Désirat, à la hauteur du même hôtel. Il y avait aussi un cordonnier (Monsieur Chabert) à l’emplacement de l’ancien marchant de journaux (dont le local existe toujours).

Dans le quartier du Pont-de-Vence, un petit commerce d’épicerie était tenu par Monsieur Didier qui faisait ses tournées avec un petit âne. Cette épicerie a été reprise plus tard par Monsieur Brussier. L’autre Commerce était l’épicerie Poulat, attenante au café des Moutonnées. Le Crédit Agricole s’élève aujourd’hui sur son emplacement.


Les commerces de Saint-Robert étaient comme aujourd’hui, situés dans l’unique artère du village, aussi était aussi la route de Lyon de l’époque, mais aussi le passage du tramway allant en direction de Voreppe. Heureusement, la circulation était beaucoup moins importante qu’aujourd’hui…


Ces commerces étaient dans le sens Grenoble-Lyon : à droite, après La Poste logée dans la maison Labat (aujourd’hui le Pressing « La Maison Margot »). On trouvait une petite épicerie (Monsieur Tonin) à la place du bureau de tabac actuel. Puis dans le prolongement, il y avait la boulangerie Mermont, avec sa magnifique et très haute balance à fléau, brillant de tous ses cuivres et de ses chaînettes que j’admirais à chaque fois que j’y entrais.

À gauche, il y avait d’abord le Café Giraud, et son commerce de vins qui faisait suite (actuellement : le café-restaurant « Le Manon ». Puis venait le coiffeur (Monsieur Veyret) qui tenait aussi une buvette. Ensuite le Café Laboret avec son billard qui lui valait une clientèle, disons plus « choisie » que pour les autres établissements. Par exemple, l’économe de l’Asile faisait partie des joueurs les plus assidus. Son emplacement est aujourd’hui occupé par « Le Petit Casino ». On trouvait un peu plus loin l’épicerie Allard-Jacquin où l’on trouvait de tout. Actellement, le cabinet dentaire du Docteur Pesenti se trouve sur son emplacement. Puis la boucherie Gullon qui existe toujours encore, tenu auparavant par Monsieur Duc-Maugé, puis le Café Termat (dit « Chez Le Mousse ») très fréquenté par les danseurs au son du piano électrique : c’est actuellement Le Saint-E. Le bureau de tabac, tenu par Mesdames Andru et Perrin, on l’avait surnommé « L’Agence Havas » car on pouvait y apprendre toutes les nouvelles du pays… Plus tard, ce local est devenu la Charcuterie Rolland.

Terminons avec le Café des Tramways, tenu par Monsieur Faure (actuellement Boulangerie Puy, installée sur son emplacement).

Un peu plus loin, il y avait aussi un cordonnier italien, dans le bas de l’actuelle rue Casimir Brenier, juste avant d’arriver à la Boulangerie Giroud.


Si ma mémoire est bonne, je crois que c’est tout, concernant les commerces de Saint-Robert.


À la descente des Bonnais se trouvait la « Société Dauphinoise des Carburants », gérée par Monsieur Huillier. Doit-on la considérer comme un commerce ? À sa place, s’installera par la suite la scierie Mollard.


Le Canal de la Vence, n’était pas recouvert à cette époque. Il longeait le derrière des maisons de Saint-Robert, sur le côté droit du tracé de la Route Nationale actuelle, puis coupait la route avant de se diriger vers l’entrée de l’Asile qu’il traversait en partie pour se déverser ensuite au niveau du quartier de la Priola, dans les installations de l’Usine à Ciments qui utilisait sa force motrice.

L’eau dans ce canal avait beaucoup de force. Il était dangereux de jouer à proximité. Un enfant s’y est noyé. Une autre y a été repêchée de justesse : il s’agissait de la petite Marie Doriat qui deviendra un jour la grand-mère de notre ami Roger Muguet et de sa sœur Francette.


En 1921, Saint-Égrève ne possédait ni médecin, ni Pharmacien, et encore moins un Dentiste !

On faisait appel au Docteur Thévenet de Voreppe. Un peu plus tard s’installa au Pont-de-Vence le Docteur Jaubert qui n’exerça pas très longtemps, pendant que le docteur Chamarier, également de Voreppe, recevait en consultation, 2 ou 3 jours par semaine, dans une pièce du Café des Tramways, aménagée pour la circonstance.

Ce ne sera que quelques années avant la seconde guerre mondiale que le Docteur Roger Cadence ouvrira un cabinet à Saint-Robert, dans la maison Arnaud, et en même temps fera fonction de pharmacien.


Une forte image du pays était le tramway électrique (S.G.T.E.). Je me rappelle qu’il allait alors jusqu’à Voreppe. Son autre destination étant La Monta, après une bifurcation au Pont-de-Vence. La gare terminus de La Monta se voit encore. Elle est devenu une habitation privée, à l’entrée de la rue, après la Place Pompée. Son chef de gare était Monsieur Mazet.

Le trajet du Pont-de-Vence à Grenoble durait environ 30 minutes, et il y avait un passage de tram chaque demi-heure. Le prix du billet à partir des Moutonnées, pour se rendre à Grenoble, était à l’époque alors de 0,60 francs (nos mamans disaient 12 sous). Le départ du Pont-de-Vence coûtait un peu plus.

Il était bien sympathique ce tram… surtout en été, avec ses voitures qu’on appelait « baladeuses ». Elles étaient très aérées, munies de rideaux rayés, et comportaient deux « plateformes » à chaque extrémité pour voyageurs debout, très appréciées par les jeunes. Certains convois traînaient un « fourgon » destiné au transport du lait en bidons et d’autres marchandises. Ce transport public était largement utilisé par les braves paysannes de Quaix ou de Proveysieux qui allaient vendre leurs produits à Grenoble. Elles avaient pour cela d’immenses paniers en osier, très curieux par leur longueur, qui contenaient surtout des tommes de leur fabrication, mais aussi des œufs, des légumes, des fleurs et des fruits suivant la saison. De temps en temps, on essayait de leur chaparder quelques cerises… mais ce n’était pas bien méchant. Dans ces « trolleys », il y régnait une toute autre ambiance que dans nos autobus actuels. Nous les aimions beaucoup.

Puisque nous étions dans les transports, parlons un peu de la gare de « Saint-Égrève – Saint-Robert » - Gare du PLM qui n’était pas encore la gare SNCF. Elle connaissait une grande animation à cette époque, car peu de transports se faisaient par route, et les gens n’avaient pas encore de voiture. Beaucoup de marchandises transitaient car elle desservait la cimenterie, la brasserie et toute l’activité du pays.

J’ai le souvenir de quelques scènes pittoresques propres à notre pays : la plus curieuse était la traversée du village de La Monta, puis des quartiers de l’Église et de Saint-Robert, par les charrois qui transportaient la « terre réfractaire », cette terre rouge, extraite près du Col de la Charmette, de sa carrière à un dépôt de l’entreprise Martin, située devant la guerre de Saint-Égrève – Saint-Robert. Ces convois de tombereaux spéciaux, très bas, à 18 roues dont les deux premières à l’avant étaient plus petites, étaient traînés par de gros bœufs, très placides et lents. Quand ils repartaient vides, ils empruntaient le chemin de notre école, la rue Casimir Brenier qui était plus étroite, pas encore goudronnée, pleine d’ornières, et encaissée entre deux rangées de murs couverts de lierre, sur presque toute sa longueur avant d’atteindre la Villa Hélène. Au passage du convois, nous cherchions à nous accrocher à ces véhicules pour nous faire traîner en évitant d’être vus par les « bouviers ». Ces conducteurs étaient des hommes de Proveysieux. Un certain Monsieur Gaude, qui habitait Saint-Robert, à coté du cordonnier dont j’ai déjà parlé, faisait partie d’un de ces convois qui faisaient le bonheur des cafés de La Monta où ils s’arrêtaient au retour, et sans doute aussi à l’aller…

Pour ces mêmes cafés, il y avait aussi l’aubaine d’une clientèle fournie par les scieries qui étaient alimentées en billes de sapins descendues de Chartreuse au moyen de grands triques-balles, souvent aussi tirés par des bœufs. Ce qui explique en partie le nombre de cafés dans ce coin-là.


Les Ciments de la Porte de France offraient aussi une curiosité. Il s’agissait d’immenses charrettes, très hautes et très larges, chargées de tonneaux, qui se rendaient à l’usine de Grenoble, à la Porte-de-France. Ce chargement, tiré par des chevaux, impressionnait de par son volume. Il prenait presque toute la largeur de la route nationale, laquelle bien sûr n’avait pas la largeur d’aujourd’hui, et n’était pas goudronnée mais pleine de nids de poules. À chaque cahot, il vacillait d’une façon inquiétante. Il nous semblait toujours qu’il allait se renverser… Heureusement, le trafic à cette époque n’était pas très dense. Je n’ai par contre jamais su dans quel sens de ce trajet les tonneaux étaient pleins ou vides… Une énigme… Ni quel genre de ciment ils contenaient. De toute façon, ailleurs que sur ce parcours Saint-Égrève Grenoble, tout le transport de ciment livré par l’Usine de Saint-Égrève, se faisait à l’aide des tonneaux.

Il existait des tonneliers à l’usine. On les employait pour confectionner les tonneaux.

Enfants, il nous arrivait d’aller leur chaparder quelques douves pour nous en faire des skis.

La même fabrique de ciment fournissait une autre attraction. C’était le petit train : le « taco » qui allait lui-aussi jusqu’à la Porte-de-France, comme les charrettes à tonneaux, mais en suivant la digue de l’Isère. ON aimait le voir passer quand, « à toute vapeur », il se donnait un peu une allure « Far West », avec son sifflet strident. Quant à ce qu’il transportait exactement, je ne l’ai jamais su… Certains de ses chauffeurs complaisants – à notre plus grande joie- nous permettaient parfois d’y prendre place à leur cotés.

La Brasserie n’offrait rien de très pittoresque, mais elle possédait, tout comme la cimenterie, de très beaux chevaux pour ses divers transports. Il régnait d’ailleurs une certaine rivalité entre les deux entreprises, eu regard leurs écuries. À l’occasion du Carnaval de Grenoble, c’était à celle qui présenterait les plus beaux spécimens au défilé de chars.

Une autre image, en dehors de son côté émouvant, apportait une note plaisante à voir, dans notre paysage. C’était le cortège des pauvres orphelines, soit quand elles partaient en promenade, soit quand elles se rendaient à la messe ou à quelque cérémonie officielle. Elles étaient toutes habillées pareillement, de la plus petite à la plus grande, d’une manière agréable et voyante. On les admirait sur leur passage, bien que la discipline à laquelle elles semblaient se plier nous impressionnait un peu et nous poussait à une certaine compassion pour ces filles sans parents.

Un personnage typique était le père Bourgeat de La Monta. Il était marchand de légumes, et parcourait le pays avec une petite charrette traînée par un âne. Il était sympathique avec son grand béret. Je le revois encore.

Une autre figure, également sympathique était Madame Comte, qui poussant devant elle sa petite carriole, venait depuis les « Iles », proposer les produits de sa ferme aux habitants de Saint-Robert… J’aurais dû vous dire qu’en plus des cultures céréalières et des cerisiers, les ressources des fermes étaient aussi un important élevage de bovins, porcs et animaux de basse-cour.


Je me rappelle aussi les deux vénérables dévotes que nous croisions tous les matins en allant à l’école, lorsqu’elles revenaient de la messe. C’était d’abord Mademoiselle Bernard, très grande et tout de noir vêtue. Elle nous toisait avec une certaine sévérité. Puis venait sa compagne qui toute l’année portait un curieux cache-poussière marron qui lui tombait jusqu’au talons. On la surnommait la « Nankine ». Je n’ai jamais su pourquoi ? Certains disaient que son père était allé en Chine. Alors peut-être ? Je crois que son vrai nom était Mademoiselle Muguet…


Une autre grande attraction du pays était le « bac de la Sassenage ». Ce bac à traille traversait l’Isère un peu en amont de l’embouchure de la Vence, à la hauteur de la ferme Michallet (qui n’existe plus aujourd’hui). Son départ se faisait depuis une des iles de l’Isère, et ils abordait à Rollandière. Peut-être aperçoit-on encore la maison du passeur située sur la digue, côté Sassenage ? Le « Bac de Sassenage » connaissait un grand succès auprès des promeneurs de Saint-Égrève et des environs. On l’empruntait surtout le dimanche pour aller manger à Rollandière la friture, ou la truite du Furon, ou encore pousser jusqu’à Sassenage pour visiter les Cuves. Le Bac a été emporté par une crue de l’Isère pendant la dernière guerre, et il n’a jamais été remplacé depuis.


Il n’y avait pas tellement de fêtes dans le pays.

La Grande Guerre était à peine terminée, le 11 novembre, comme partout, était l’occasion d’une importante manifestation du souvenir.

Au premier janvier, c’était le « Bal des Pompiers », précédé d’un banquet qui avait lieu, soit à l’Hôtel Désirat, soit au Café Poulat.

À paques s’installait comme encore aujourd’hui la Vogue de La Monta qui attirait les familles, car on sortait beaucoup « en famille » à cette époque-là. Les jeunes filles surtout n’allaient pas danser sans être accompagnées… de maman, du grand-frère, ou de la grande sœur. Les premiers pianos mécaniques connaissaient un gros succès. Plusieurs cafés en possédaient.


Saint-Égrève avait aussi ses châteaux occupés alors par leurs propriétaires. Le plus important était le Château du Conte de Quinsonas, au Muret, transformé aujourd’hui en appartements. Puis venait le Château Borel, devenu La Mairie actuelle, puis le Château de la Tourette, à Saint-Robert, propriété de la famille Viallet. De nos jours, il a été transformé en appartements. Près de l’église de La Monta, c’était le Château Vataire qui existe toujours après avoir plusieurs fois changé de propriétaires. Il possédait un très beau parc qui a été depuis bien amputé. Enfin, à Rochepleine, au fond d’un magnifique parc se trouvait le Château Chapuis dont il ne subsiste qu’une seule partie, conséquence d’un incendie. Le parc, lui, n’a rien perdu de sa grande grandeur, si ce n’est qu’il est aujourd’hui occupé par trois grands immeubles.

Certains quartiers de la commune n’avait absolument pas l’aspect qu’ils présentent aujourd’hui, complètement transformés par des démolitions successives, par des abattages d’arbres, et surtout par de très nombreuses nouvelles constructions.

Ces quartiers ont été tellement remaniés que je n’arrive plus, parfois, à les reconstituer dans ma mémoire, tels que je les ai connus…

Je pense tout particulièrement au quartier des Iles qui était abondamment boisé. Les chasseurs se donnaient alors rendez-vous au « Bois Payant » ou à un autre… Je pense aussi aux quartiers de Fiancey et de Prédieu, avec leurs vastes champs largement cultivés, ou plantés d’arbres jusqu’aux rives de l’Isère.


Puisque qu’en somme, c’est mon enfance que j’évoque, je voudrais rappeler trois mots de notre vocabulaire d’écoliers, se rapportant à nos jeux :

- Une « galoute » signifiait une « glissage », « se galouter » signifiait « glisser ».

- Une « grassole » était une luge rustique, « se grassoler », signifiait « faire de la luge », « luger ».

- Durant un jeu de combat, lorsque l’un de nous disait « quine ! », cela voulait dire « Pouce ! »… Il y avait tellement d’expressions, que je n’arrive pas à me souvenir des autres…



Voilà, ce dont je me souviens du Saint-Égrève de 1921 !

Cependant, ce que je regrette énormément, c’est qu’à mon âge, à 94 ans, de ne plus avoir d’aînés parmi les garçons de mon époque, pour m’aider à « compléter » mes souvenirs. Je crois bien qu’il n’y en a plus qu’un seul, Monsieur Broise, qui était du Pont-de-Vence, mais malheureusement, maintenant, il est à la MAPA.