VERS UN CHEMIN MEILLEUR
Extrait - 1er chapitre
MA RENCONTRE AVEC JEAN
Après dix années de galère, j’ai rencontré Jean. Il est venu à moi et m’a simplement tendu la main pour m’aider à me relever : j’avais glissé sur le dur chemin de la vie. C’est cet homme qui m’a comblé de bonheur, l’homme attentionné qui a su faire sourire mes enfants. Jean, c’était cet homme, ce mari et ce père, le seul amour de ma vie.
Il nous a donné de l’amour, de la bonne humeur. Il nous a véritablement donné goût à la vie.
*
Ce matin de juillet 1984, c’était l’été. Ma mère était venue passer quelques jours de vacances chez nous. Elle venait de loin, de très loin, d’une île lointaine dans l’océan Indien, à quelques 1300 km d’ici. C’était aussi pour elle l’occasion d’assister au mariage de son fils qui devait avoir lieu à Montferrat, près de Voiron.
Ce jour-là, la sonnerie de la porte d’entrée avait retenti. Ma mère me dit d’aller ouvrir. Devant moi était apparu un homme. Il me demanda si j’avais vu sa femme. Je ne compris pas tout de suite. Alors, il me reposa la question en me montrant une page du journal Le Dauphiné Libéré.
- Elle a disparu. Me dit-il. Je n’ai plus aucune nouvelle d’elle.
Je ne savais pas quoi lui répondre, sinon de ne pas se décourager, et qu’à mon avis, elle devait être dans sa famille.
Il repartit, complètement désemparé, et en s’excusant de m’avoir dérangé.
Quelques jours plus tard, il revint sonner à ma porte pour m’apprendre qu’elle n’était toujours pas rentrée à son domicile. Il m’assura qu’elle n’était pas non plus dans sa famille. Ce n’était pas dans ses habitudes.
- Heureusement que j’ai toujours mon petit caniche. Dit-il. Sans lui, je ne sais pas ce que je ferais. Il m’aide à tenir le coup, à surmonter cette soudaine solitude.
-
Je ne comprends pas. Lui répondis-je. On ne part pas comme çà, sur un coup de tête. Vous vous étiez disputés ?
-
Non. Rien de tout cela ! Ma femme m’aimait. J’en suis certain. Je peux dire qu’elle était irréprochable. Travailleuse, elle ne rechignait pas devant les tâches ménagères, le ménage, la cuisine. Elle était formidable… Vous vous rendez compte que je me mets à parler d’elle à l’imparfait, comme si…
-
Comme si quoi ?
-
Non… Elle reviendra… Mais cela fait déjà un bon mois qu’elle a disparu… Où est-elle ? Je ne sais pas. À la gendarmerie, on m’a dit de ne pas m’inquiéter, que c’était une personne majeure et par conséquent, qu’elle savait ce qu’elle faisait. Y’en a même un qui m’a dit qu’elle était peut-être partie avec un autre homme ! Mais je sais que c’est impossible !…
-
Il ne faut pas désespérer. Elle reviendra…
Quelques mois plus tard, elle n’était toujours pas revenue. Jean était toujours seul, avec son caniche.
Comme il se rendait en voiture chaque jour à son travail, et qu’il empruntait le même trajet que moi, plus d’une fois il me proposa de me raccompagner. À chaque fois, je lui répondais de ne pas s’inquiéter, que je n’habitais pas si loin que çà. Alors, il n’insistait pas. Cela dura ainsi quelques mois, jusqu’à cette mémorable journée.
Comme il organisait un pique-nique, il nous avait tous invités à venir pour en profiter.
Nous n’étions pas les seuls : nous retrouvâmes une vingtaine de personnes.
C’est ce jour-là qu’il fit connaissance avec mes enfants. Mon fils avait huit ans et ma fille treize ans. Je le revois en train de s’amuser avec eux, et surtout avec mon fils qui aimait taper dans le ballon. Cet homme, seulement par sa présence, transmettait la joie et le bonheur autour de lui. Nous nous sentions tous heureux.
- Une amie est venue avec moi. Lui dis-je. Elle est seule, elle aussi. Si tu veux, tu peux aller lui parler. Elle sera ravie.
- Non. Tu te trompes. Me répondit-il. Elle n’est pas à mon goût. S’il y avait quelqu’un à aimer, ce serait toi… Vois-tu, ce que j’aime en toi, c’est ta gentillesse et tes qualités. Si j’avais à choisir, ce serait toi la femme de ma vie !
- Comment ? Qu’est-ce que tu dis ? Balbutiais-je, emportée par une vive colère. La femme de ta vie ? S’il te plait, ne confonds pas l’amour et l’amitié ! Car je n’éprouve pas d’amour pour toi. Je t’estime, comme… un ami. C’est tout.
- Je te comprends. C’est un peu brusque ce que je viens de dire. Mais c’est la vérité. J’ai encore une chose à ajouter : j’attendrai le temps qu’il faut. J’ai compris que c’est avec toi que je continuerai mon chemin, avec toi et tes enfants. Eux-aussi sont formidables !
*
Après ce mémorable pique-nique, les mois passèrent…
Je fis tout mon possible pour l’éviter. Sans doute, parce que je me sentais terriblement gênée. Chaque fois que je venais à le croiser, son regard et sa voix ne cessaient de me troubler. Quelque chose émanait de lui. Beaucoup de bonté. De grandes qualités qu’une femme espèrent chez un homme. Non, je n’étais pas la femme qu’il lui fallait…
Une nouvelle rencontre eut lieu grâce à mon fils. Comme il avait crevé une roue de son vélo, c’est d’un air désolé qu’il avait demandé à Jean de le réparer. J’avoue que, lorsqu’il était revenu chez moi, l’accueil ne fut pas des plus chaleureux. Je lui fis de nouveau comprendre qu’il n’était qu’un ami pour moi. Mais il semblait ne pas entendre mes paroles. Je le sentais heureux d’avoir pu rendre service à mon fils.
Trois mois plus tard, il revint sonner à ma porte.
C’était l’hiver. Il faisait froid dehors, et la neige avait blanchi toutes les montagnes alentour.
Il me demanda si nous acceptions de passer ensemble le réveillon de Noël, en 1986.
Ce jour-là, je ne sais pas ce qui me fit répondre oui à son invitation, mais j’acceptais de bon cœur.
Puis les jours se suivirent, et la routine fit que l’on ne se reparla plus pendant plusieurs semaines, sinon un « Bonjour, au revoir ».
J’avais beau faire mine de ne pas m’intéresser à lui, mais il revenait toujours quelques jours plus tard, quelques mois plus tard. Après ces laps de temps, il revenait toujours sonner à ma porte.
Nous étions à Pâques, déjà.
- Cela vous dit, pour le week-end de Pentecôte, que je vous emmène visiter la Camargue, et puis Sainte-Marie de la Mer ?
Je ne pouvais pas refuser une telle invitation. J’acceptais ! J’étais heureuse à l’idée de sortir de Grenoble, de quitter les montagnes et voir la mer qui me manquait.
Très organisé, Jean avait tout prévu. Alors qu’il préparait les glacières, moi, je m’occupais des sacs et des casse-croûtes à emporter pour la route.
Le chemin est long pour arriver jusqu’à la mer… Jean, avait prévu des étapes. Ainsi nous nous arrêtâmes à Romans, le pays des chaussures, puis à Valence. Nous découvrîmes les paysages de la Drôme, la bonne odeur du thym. Nous fîmes aussi une halte à Nîmes, puis à Saint Gilles. Puis quand le pays de la Camargue s’offrit enfin à nos yeux, nous fûmes, mes enfants et moi-même, éblouis par tant de beautés : les rizières, les taureaux sauvages, les chevaux, les flamants roses. Nous avions l’impression de vivre un rêve. Mes enfants étaient heureux comme ils l’avaient rarement été avant. Cette découverte de la Camargue était inespérée. Cela faisait treize ans que nous n’avions pas eu de vacances en France.
Jean, toujours très organisé, avait réservé deux chambres dans un hôtel. Après avoir dégusté des produits de la mer, et nous être un peu promenés, nous nous couchâmes, lui dans sa chambre avec son caniche, et nous trois, dans la nôtre.
Le lendemain matin, nous visitâmes Arles. Le soleil était toujours au rendez-vous. Les herbes de Provence embaumaient toute l’atmosphère.
Bien-entendu, Jean ne pouvait s’empêcher de me répéter qu’il ressentait pour moi des sentiments profonds. Tout en me disant cela, il me promettait de ne jamais me faire souffrir, qu’il était différents de tous ces hommes, que je ne devais pas avoir de préjugé envers lui. Son seul désir était de nous apporter du bonheur, à mes enfants et à moi.
Longtemps, il continua à vivre chez lui, et moi, chez moi. Il avait comme établi une barrière qu’il franchissait très lentement. Il ne souhaitait pas perturber notre petite famille. Néanmoins, il demeurait très attentif à nous, tachant de satisfaire nos moindres désirs. Jean était réellement le papa que mes enfants attendaient depuis tant d’années.
Chacune de ses initiatives nous émerveillait. Ainsi, quelques semaines plus tard, nous visitâmes Tarbes, et les Pyrénées. Puis, nous découvrîmes Lourdes à l’occasion d’un week-end qu’il organisa avec plusieurs familles. Nous ne vivions pas encore ensemble, et déjà il me comblait de bonheur. Après avoir vécu autant d’années de souffrance à élever seule deux enfants, ma vie prenait une tournure irréelle. Mes soucis étaient désormais divisés par deux.
La dernière journée – ce 24 juin 2002
Extrait
Ce matin-là, il me réveille et me demande si je dois aller travailler. Je lui réponds que oui. Alors, il dit qu’il va préparer le café, et qu’il m’accompagnera jusqu’à mon travail : il veut acheter son journal.
- Et puis, cela promènera Gin ! Termine-t-il avant d’aller s’occuper de la cafetière que j’entends couler.
Moi, je me lève d’un bond et m’habille. En passant dans le couloir pour aller à la salle de bains, je l’aperçois sur le balcon.
Alors que je me suis lavé le visage et brossé les cheveux, j’entends Gin en train d’aboyer.
Je vais voir ce qui se passe. Mon cœur fait un bond sous ma poitrine : je vois Jean étendu par terre, en proie à des douleurs intenses. Comme il est conscient, je lui demande où il a mal. Il me répond avec beaucoup de difficultés.
Je prends donc la décision d’appeler le SAMU. Le médecin que j’ai au bout du fil me promet qu’ils envoient rapidement quelqu’un, un médecin ou les pompiers.
Commence alors une longue attente… interminable.
Angoissée, je cours prévenir ma voisine de palier. Je passe un autre coup de téléphone car je trouve le temps décidément long pour que quelqu’un vienne. Le médecin régulateur nous promet les pompiers… Nous habitons à 500 mètres de l’hôpital. Mais toujours personne…
Lorsque enfin un médecin arrive, ce n’est que pour constater le décès de Jean. Je me mis à hurler. C’était impossible. Je ne pouvais le croire. Le médecin me répéta le diagnostique. Tout s’écroula autour de moi. On porta le corps de Jean dans notre chambre. Il m’était impossible d’admettre qu’il avait cessé de vivre. Comme je ne savais plus quoi faire, que je me sentais perdue, on finit par appeler un médecin afin qu’il me donne un calmant.
De sept et demi à onze heures, je suis restée près du corps de Jean, le suppliant presque de se réveiller. À onze heures, les Pompes Funèbres vinrent enlever le corps. Pour une deuxième fois, Jean s’en allait. Pour une deuxième fois, mon cœur se déchirait à me faire mal, très mal. Déjà, en 1969, nous avions vécu la mort de papa. Cela avait été très dur. Mais j’étais alors jeune. Aujourd’hui, le départ de Jean était perçu comme un déchirement permanent. Jean, c’était l’homme qui avait fait sourire ma vie. Il était parti vers un autre monde.
Jean : sa douloureuse histoire
Extrait
Il s’est marié en 1975, mais n’a pas eu d’enfant car sa femme ne pouvait pas en avoir.
C’est en 1984 qu’elle disparut du jour au lendemain, sans n’avoir laissé aucune trace.
Il souffrit la solitude durant un an, avec pour seule compagnie, son petit chien Dolly. Longtemps, il espéra le retour de sa femme. Le comble est qu’à son décès, il est considéré pour la Justice Française décédé avant sa femme.
À propos de sa femme, jamais, je ne l’ai entendu en dire du mal, bien au contraire, il ne disait que des bonnes choses d’elle. On le sentait sincère. Il savait faire la part des choses, tout en acceptant la vie comme elle venait. Surtout, il n’a jamais perdu ses moyens. En 1984, il avait entamé de très nombreuses démarches. Il commença par déposer une plainte pour disparition. Il contacta un détective qui entreprit des recherches nationales et internationales. Il acheta quotidiennement le journal pour y lire les faits divers, ne ratait aucune émission de « Perdu de Vue » à la télévision. Il contacta également un radiesthésiste. Travaillant à l’hôpital, il allait se renseigner sur les cadavres repêchés dans l’Isère, lisant les contre-rendus d’enquête rendus par le dentiste et l’ophtalmologiste. À plusieurs reprises, il allait sur les lieux de travail de sa femme pour y recueillir des témoignages, ainsi que tous les lieux qu’elle fréquentait.
Il continua à payer les crédits tout seul. Aucune assurance ne pouvait fonctionner car on n’avait retrouvé aucun corps. Il travailla encore plus dur pour que l’appartement qu’ils avaient acheté ensemble en 1977 ne soit pas hypothéqué. Bien-sûr, pour l’aider à payer, il aurait pu prendre un locataire, mais par respect envers sa femme il ne le fit jamais. Il continua à vivre dans cette maison, résistant à la solitude qui le rongeait.
© Jean-Michel DIEBOLT – pour Mme A.H. - 04/2009